Date : 28 03 2003
Source :
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3244--314664-,00.html
Roger-Gérard Schwartzenberg , ministre de la recherche du
gouvernement de Lionel Jospin, vient de présenter devant la
commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale un
amendement au projet de loi relatif à la bioéthique. Celui-ci vise à
légaliser la pratique dite du " clonage thérapeutique" ou du "
transfert de noyaux de cellules somatiques."
Ce projet de loi doit être examiné, en seconde lecture, par les
députés à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai.
Au début de 2002, le gouvernement Jospin avait décidé, contre l'avis
de la quasi-totalité des institutions chargées de le conseiller, de
ne pas inscrire dans le projet de loi la possibilité pour les
biologistes français de recourir au clonage thérapeutique.
Le débat fut vif au sein du gouvernement Jospin avant que le premier
ministre ne décide, contrairement à son choix initial, de proposer
un projet de loi prohibant cette pratique.
Plusieurs ministres étaient partisans de cette interdiction. Mais
Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, et Roger-Gérard
Schwartzenberg tentèrent de faire valoir un point de vue différent.
Une tâche d'autant plus délicate que le Conseil d'Etat s'était, à
une voix de majorité – celle de son vice-président qui compte double
–, prononcé contre le clonage thérapeutique.
UN TEXTE DE CONSENSUS
Le ministre de la recherche alla jusqu'à adresser à Lionel Jospin un
courrier confidentiel pour tenter de peser sur son choix. "Tout en
étant bien sûr attentif aux risques politiques que comporte le fait
de ne pas se conformer à l'avis du Conseil d'Etat, je voudrais,
écrivait-il dans ce courrier daté du 13 juin 2001, souligner les
risques, importants (...) que comporterait la renonciation à des
recherches sur le transfert de noyaux de cellules somatiques".
"Cette méthode évitant le rejet immunologique et étant la plus
efficace(...) est aussi celle, poursuivait-il, qui ouvrirait la voie
la plus prometteuse au développement de nouvelles thérapeutiques
susceptibles d'offrir des chances de guérison à des malades atteints
d'affections graves et le plus souvent incurables. La thérapie
cellulaire et la médecine régénératrice risquent donc de progresser
sensiblement moins vite".
A cette occasion, le ministre de la recherche rappelait à Lionel
Jospin que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ayant décidé d'autoriser
le clonage thérapeutique par transfert nucléaire, la recherche
française risque d'être fortement devancée. Mais il soulignait aussi
"le risque de voir les chercheurs français, les plus compétents dans
ce domaine, s'installer dans ces pays pour pouvoir y conduire des
recherches qui ne seraient pas autorisées en France".
"Enfin, faisait remarquer M. Schwartzenberg, le Conseil d'Etat
s'appuie, pour rejeter le transfert nucléaire, sur le principe de
respect fondamental de l'être humain dès le début de la vie,
principe qui n'a pas été retenu par le Conseil constitutionnel dans
sa décision du 27 juillet 1994".
Selon le ministre, un texte de consensus pouvait être trouvé en
laissant la liberté de vote aux parlementaires – comme cela avait
été fait au Royaume-Uni – et en s'engageant à saisir le Conseil
constitutionnel au terme du processus législatif.
"Il est à craindre, concluait-il, que le retard qui résulterait de
la prise en compte des arguments, juridiquement contestables, du
Conseil d'Etat soit préjudiciable à la fois à la recherche française
et aux malades en attente de thérapeutiques nouvelles". Redevenu
député, Roger-Gérard Schwartzenberg a décidé de ne pas poursuivre ce
combat.
Jean-Yves Nau
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 29.03.03 |