Source :
http://www.ircm.qc.ca/bioethique/obsgenetique/zoom/zoom_02/z_no5_02/z_no5_02_1.html
Pendant que les OGM sèment la discorde un peu partout dans le monde,
la Chine est fermement déterminée à devenir un joueur de taille dans
leur culture et leur commercialisation. Un choix qui pourra
difficilement être épargné par la critique, déjà bien amorcée dans
les pays européens et certains pays d’Asie.
Monique Fournier
Alors que les pays européens multiplient les consultations publiques
autour des organismes génétiquement modifiés (OGM) et qu’un nombre
grandissant de pays asiatiques s’opposent à leur utilisation dans
leur agriculture, la Chine est décidée à investir massivement dans
la recherche et la commercialisation de produits agricoles issus du
génie génétique. Elle projette même de couvrir la moitié de ses
champs en plantes transgéniques d’ici dix ans.
Selon une étude parue dans la revue Science, en janvier dernier, la
Chine se hisserait derrière les États-Unis quant aux ressources
allouées à la recherche et développement en biotechnologies
végétales. Les scientifiques chinois travailleraient sur le plus
grand nombre d’espèces végétales, soit pas moins d’une cinquantaine,
et plus de 120 gènes fonctionnels, propulsant ainsi la Chine au
premier rang mondial dans ce domaine. L’Agence sanitaire de génie
génétique chinoise a autorisé des essais en champs, des relâchements
en culture ou la commercialisation de 251 organismes génétiquement
modifiés (plantes, animaux et micro-organismes). Des 141 plantes
transgéniques développées par les instituts de recherche, l’Agence
aurait approuvé la culture à l’air libre de 65 d’entre elles et la
commercialisation de 31. La Chine procède depuis deux ans à des
essais en champs de riz transgénique résistant à des insectes
nuisibles. Elle prévoit sa culture d’ici deux ans, une première en
Asie.
La volonté du gouvernement chinois de devenir un joueur
international de taille dans le règne des plantes modifiées est
claire. Presque toute la recherche en biotechnologie végétale est
financée par l’État. En 1999, la Chine avait investi environ 112
millions de dollars dans ce secteur d’activité. Quoique largement en
tête des pays en développement, les dépenses chinoises annuelles ne
représentent à peine que 5% du montant total dépensé par les pays
industrialisés (soit 2 à 3 milliards de dollars). Cependant, avec
les augmentations prévues de 400% de son budget de recherche
publique en biotechnologie végétale d’ici 2005, la Chine comptera
alors pour le tiers du financement public mondial dans ce domaine.
La rhétorique de la faim...
Outre le prestige national que revêt la participation au
développement d’une technologie de pointe, l’indépendance
alimentaire constitue l’argument principal à l’engouement de la
Chine pour les OGM. Lorsque Monsanto, Novartis et autres
multinationales tentaient de faire accepter le maïs transgénique Bt
ou le soja transgénique résistant au désherbant Round-Up au nom de
la lutte contre la faim dans le monde, les sceptiques pouvaient
sourire. Les plantes transgéniques proposées étaient principalement
destinées à l’alimentation du bétail et des populations des pays
riches, et la plupart des recherches étaient menées sur des plantes
cultivées dans des pays du Nord. Aussi, le coût des biotechnologies
soulevait le problème de l’accessibilité des pays pauvres à
celles-ci, le risque de créer une plus grande dépendance de ces
derniers envers les pays riches et la disparition de la diversité
des productions locales remplacées par des monocultures.
Mais, au premier abord, l’argument de la faim pour justifier le
recours aux OGM peut paraître plus crédible lorsqu’il est évoqué par
la Chine, un pays en développement disposant de 7% des terres
arables mondiales pour nourrir une population de près de 1,3
milliard d’habitants, d’autant plus que ses recherches en
biotechnologies végétales portent sur des variétés locales. Et
pourtant, l’équation entre le fléau de la famine et sa solution OGM
reste toujours à démontrer.
Les promoteurs des biotechnologies végétales diront qu’elles
permettent d’augmenter le rendement des cultures et de diminuer dans
certains cas l’usage de pesticides. Selon l’étude de la revue
Science, la culture du coton transgénique, auquel on a introduit un
gène de la bactérie Bacillus Thuringiensis (Bt) pour lutter contre
le charançon du cotonnier, aurait permis aux fermiers chinois de
réaliser des économies importantes en pesticides, diminuant le coût
de production de 28%. Cependant, selon un rapport gouvernemental
chinois, cité par l’Agence France Presse en juin dernier, le coton
Bt encouragerait la prolifération d’autres insectes nuisibles et
risque de perdre son efficacité contre le charançon d’ici 8 ou 10
ans, en raison du phénomène de résistance. Lors d’une enquête
réalisée en 2000 auprès de Monsanto par Solagral, une organisation
non gouvernementale française qui étudie entre autres les impacts
des négociations internationales sur l’agriculture et l’alimentation
dans les pays en développement, la firme semencière admettait que
mis à part le coton, les rendements de la plupart des OGM
actuellement cultivés augmenteraient au mieux de 5% et ce, seulement
si les conditions de culture sont réunies.
De toute façon, le problème à l’origine de la famine en est-il un de
manque de productivité et de faible rendement des cultures?
L’augmentation de la productivité ne garantit pas une répartition
efficace et équitable des ressources. Le Brésil, par exemple,
représente le quatrième exportateur mondial de produits agricoles,
et pourtant, 40% de sa population souffre de sous-alimentation. Même
si la Chine est le premier pays producteur mondial de céréales
(20,5%), de porc (46%), de coton (25%) et de tabac et un grand
importateur net de produits agricoles, et bien qu’elle soit parvenue
à sortir 76 millions de personnes des griffes de la faim dans la
dernière décennie grâce à une croissance économique et agricole
remarquable, elle abrite néanmoins le plus grand nombre de personnes
victimes de sous-nutrition dans le monde après l’Inde.
D’ailleurs, dans son rapport de l’année dernière sur l’état de
l’insécurité alimentaire dans le monde, l’Organisation des Nations
Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) spécifiait bien
«qu’un petit accroissement de la production serait suffisant si sa
croissance s’accompagnait d’un accès équitable à la nourriture. Ceci
pourrait se faire par une redistribution –de la nourriture, des
moyens de produire ou du pouvoir d’achat nécessaire pour se la
procurer- à ceux qui se trouvent actuellement aux plus bas échelons
de cet accès». Une inégalité d’accès qui, selon le rapport de la
FAO, n’aurait apparemment connu aucune baisse significative dans les
trente dernières années.
Cultiver la rhétorique de la faim pour justifier l’utilisation des
biotechnologies en agriculture tend surtout à affamer les débats qui
ont lieu autour des biotechnologies et à masquer les sources
responsables de l’insécurité alimentaire. Car, si le problème de la
faim en Chine et ailleurs est indéniable, le choix des OGM comme
solution reste néanmoins discutable.
Les germes du problème
Que ce soit en Occident ou en Chine, présenter un moyen technique
comme solution à un problème complexe détourne le regard du contexte
qui l’a fait naître et simplifie une problématique qui demande du
temps, des efforts collectifs et une volonté politique pour être
résolue. La tendance à entretenir cette relation entre une situation
critique et sa solution technique légitime et alimente le sentiment
d’urgence à recourir à tous les moyens technologiques disponibles
sans les remettre en question. Surtout, c’est une bonne façon pour
les États-nations d’échapper à l’examen de conscience collectif qui
permettrait d’identifier les conditions historiques, sociales et
politiques qui ont prévalu au problème de la faim et d’en dégager
les multiples voies de résolution.
Un tel réductionnisme technologique qui, à l’instar des sociétés
occidentales, semble avoir atteint l’empire du Milieu risque-t-il
d’entraver la possibilité pour la société chinoise de tirer des
leçons des décisions passées? Par exemple, quels ont été les impacts
sur la production agroalimentaire de la collectivisation des terres
sous la gouverne de Mao et de la décollectivisation qui s’ensuivit?
Les mesures prises pour freiner la désertification qui touchait 28%
du territoire chinois à la fin de 1999 se révèlent-elles
suffisamment efficaces pour protéger les surfaces arables menacées?
Que penser de la pénurie d’eau annoncée d’ici 30 ans, due à une
irrigation massive, à une surexploitation des nappes souterraines et
à une pollution importante? Un rapport sur le développement durable
publié en 1997 par l’Organisation mondiale de la santé faisait état
de 54 cours d’eau gravement pollués sur les 78 cours d’eau majeurs
en Chine. À l’évidence, ce n’est pas l’usage de semences
transgéniques qui contribuera à lui seul à dépolluer les nombreux
cours d’eau essentiels à la production agricole.
Aussi, l’entrée récente de la Chine dans l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) aurait eu des conséquences sur les campagnes, non
seulement en amplifiant l’exode rural, mais en soumettant les
pratiques agraires aux exigences de compétitivité et de productivité
de l’économie de marché mondialisée. Selon les données recueillies
par Solagral, l’ouverture rapide des marchés intérieurs chinois aux
importations agricoles précipiterait, d’ici cinq ans, plus de 40
millions d’agriculteurs au chômage. Est-ce que le recours aux OGM
permettra vraiment d’augmenter la productivité de façon à relever
non seulement les défis économiques mais aussi sociaux et politiques
soulevés par la concurrence?
Un enjeu démocratique
Il a fallu plus de deux ans pour que la mobilisation européenne
contre les OGM se déplace vers l’Asie. Un article parue dans la
revue Science en août 2000 fait état de l’opposition aux Philippines
aux essais en champs de plantes modifiées, d’agriculteurs indiens
qui détruisent des champs de coton transgénique et du refus des
consommateurs japonais, pourtant friands de technologies, d’acheter
des aliments issus du génie génétique. En Chine, les oppositions
seraient quasi inexistantes. Mais qui ne dit mot, ne consent pas
nécessairement. Les médias chinois, sous le contrôle de l’État,
relateraient très peu les controverses autour des OGM qui sévissent
dans d’autres pays.
Cependant, l’opposition en Europe et dans certains pays d’Asie
n’aura pas été sans effet sur l’attitude du gouvernement chinois à
l’égard des biotechnologies. Tout porte à croire qu’elle aura
contribué à l’application depuis le 20 mars dernier par Pékin d’une
législation sur les OGM exigeant désormais l’étiquetage des produits
importés. Une législation d’ailleurs qui aurait bloqué le printemps
dernier des arrivages massifs de soja transgénique américain non
étiqueté. L’exportation de soja en Chine représente un marché annuel
de 1 milliard de dollars pour les producteurs américains.
Ironiquement, que ce soit par protectionnisme ou pour conserver
l’accès aux marchés européens, cette mesure contribuera peut-être à
la prise de conscience du peuple chinois et de ses dirigeants des
enjeux entourant la production et la commercialisation des plantes
génétiquement modifiées. Car, comme le démontrent les expériences
européennes et asiatiques, les réserves envers les OGM augmentent au
fur et à mesure que la population est informée des enjeux liés à
leur usage.
Les débats européens entourant l’introduction des OGM dans
l’agriculture et l’alimentation ont fait ressortir des
considérations qui dépassent la seule question des risques
sanitaires et environnementaux. Ces débats ont permis d’amorcer des
réflexions sur la participation du public au choix des orientations
scientifiques et technologiques, sur le rôle de la science dans la
démocratie, sur la transformation des pratiques agraires avec
l’avènement de la biotechnologie, sur le développement des sciences
du vivant et sur l’appropriation du vivant par le système de
brevets, etc. Mais, on peut se demander ce que signifient ces débats
dans le contexte social et politique chinois où la diffusion de
l’information d’intérêt public demeure sous le contrôle de l’État.
L’enjeu démocratique qui sous-tend l’opposition aux OGM en Europe
n’aura probablement pas le même écho en Chine…
À l’heure où les pays européens envisagent la levée possible du
moratoire, en vigueur depuis 1998, sur la culture et la
commercialisation d’organismes génétiquement modifiés, quel sera
l’effet d’un nouveau joueur, comme la Chine, sur les débats amorcés?
Ces débat s’évanouiront-ils sous la pression commerciale conjointe
des pays producteurs, tels les États-Unis et la Chine? Ou la
réflexion entamée par les pays européens serait-elle déjà
suffisamment enracinée pour mener vers d’autres formes d’actions
démocratiques qui donneraient au citoyen un certain contrôle sur le
destin biotechnologique annoncé? Ce sont des questions essentielles
que l’on devra surveiller dans l’avenir, voire renouveler lorsque
seront proposées les prochaines générations d’OGM, aux qualités
nutritives et gustatives améliorées, comme nouvelle panacée à la
lutte contre la malnutrition.
Pour en savoir plus:
J. Huang, S. Rozelle, C. Pray, et W. Qinfang, «Plant Biotechnology
in China», Science, 25 January 2002, vol.295, pp. 674-677
D. Normile, «Agrobiotechnology: Asia Gets a Taste of Genetic Food
Fights», Science, 24 Août 2000, vol. 289, pp.1279-1281
|